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Introduction de Jean-Luc Mélenchon

Le programme « L’Avenir en commun » est davantage qu’un ensemble de mesures concrètes. Il apporte surtout une vision du monde pour le futur. C’est un besoin fondamental de notre temps quand le monde entre dans une telle ère de changements écologiques et de destructions sociales, de mutations irréversibles et d’incertitudes totales. Les candidatures qui se limitent à quelques propositions, si séduisantes qu’elles soient, n’y répondent pas. Je me fais donc un devoir de résumer notre projet : construire une société d’entraide ayant pour but l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Tel sera le but visé en toutes circonstances, même très imprévues.

J’ai résumé ici la philosophie qui m’anime au moment où je suis le candidat du programme que vous allez lire. Si je suis élu, je m’y tiendrai sans transiger. Car le capitalisme financiarisé de notre temps provoque une violence sociale et un saccage de la nature sans précédent dans l’histoire de la civilisation humaine. Tout, même les pandémies, lui permet de se gaver. Pour finir, à cette heure, 26 personnes possèdent autant que la moitié de la population mondiale. Et le patrimoine des ultra-riches en France a augmenté d’un tiers pendant l’épidémie de Covid-19. Puisqu’il se nourrit de ses propres désastres, ce système est incapable de se corriger lui-même. Les raisons de le rejeter sont donc sérieuses et urgentes. C’est le but de notre programme. Nous ne voulons ni le cacher ni le flouter : « L’Avenir en commun », c’est l’insoumission devant l’ordre actuel du monde.

Ce programme a une histoire. « L’Avenir en commun » n’est pas un assemblage de trouvailles de technocrates et de publicitaires. Il est issu de notre société. Sa mise au point s’est faite après des centaines d’heures d’audition des syndicats, des associations, des intellectuels du pays. Il reprend très largement leurs propositions, parfois au mot près. Et il donne à tout cela une cohérence globale applicable par un gouvernement. C’est pourquoi, en 2017, sa qualité a déjà été saluée par de très nombreuses ONG, par des organisations de défense des droits humains et de l’environnement ou par des groupements professionnels. Cette année-là, 7 millions de personnes l’ont adopté en votant pour lui avec le bulletin de vote à mon nom. Puis il a été une référence permanente pour l’action des 17 députés nationaux et 6 députés européens insoumis, pourtant venus parfois d’horizons politiques assez divers. Tout au long du quinquennat, ses mesures ont été traduites en propositions de loi concrètes ou en amendements aux lois des gouvernements de Macron. Pendant la crise du Covid, il a servi de base pour produire dans l’urgence 4 plans d’action et 11 lois afin de répondre aux exigences de la crise sanitaire.

Depuis, nous avons soigneusement actualisé pendant un an la version présentée ici. Elle servira à la mise au point de plans d’action de notre gouvernement dans chacun de ses domaines essentiels. Bien sûr, il faudra d’abord abroger les lois des gouvernements d’Emmanuel Macron. Mais notre style c’est plutôt : « Nous sommes pour… ». Nous faisons surtout des propositions positives. Elles ont été élaborées en relation avec l’action des mouvements de la société française depuis cinq ans. Pour cela, nous avons organisé à nouveau pendant des mois des forums où sont intervenues toutes sortes de personnes expertes d’un domaine particulier. Enfin, une consultation populaire a eu lieu. Tout cela pour améliorer et compléter notre travail. Le texte que vous avez entre les mains est donc un résultat qui vient de loin. « L’Avenir en commun » est désormais un programme « prêt à l’emploi ». Une équipe expérimentée de parlementaires et de personnalités engagées dans les causes d’intérêt général pourra former un gouvernement compétent pour l’appliquer. À cette heure, il est le seul à rendre crédible en France un changement radical de cap.

Car on ne peut en rester au débat public manipulateur sur la sécurité, les religions et l’immigration. L’urgence est vraiment ailleurs. Le pays est socialement en ruine au moment où nous entrons dans une ère d’incertitude quasi totale sur tous les cycles naturels fondamentaux pourtant indispensables à la vie humaine. Le système ne s’en soucie pas. Son obsession reste de maintenir au profit des privilégiés une super-concentration de la richesse produite par le travail de tous. Mais il y a une condition à cette incroyable accumulation ! Il faut sans cesse produire, acheter et vendre, n’importe quoi, n’importe comment, sans limites, toujours plus vite, moins cher, en transformant toute chose en marchandise et en créant des besoins artificiels. Le saccage de la beauté et de la sensibilité du vivant ne l’arrête pas. La planète, les êtres humains et les animaux s’y épuisent en souffrances. La société et l’État se disloquent, minés par les inégalités et l’abandon des populations. Du coup, partout dans le monde éclatent d’amples révolutions citoyennes contre le délabrement insupportable des conditions de la vie quotidienne. Pourquoi en France tant de gens vivent-ils si mal dans un pays si riche ? Pourquoi les gens n’ont-ils pas tous droit à une vie digne dans un environnement sain ? Il n’y a là aucune fatalité. Nous pouvons réagir avec succès.

Alors oui, prenons vraiment la mesure de notre responsabilité personnelle. Je le fais en présentant ma candidature au nom des 250 000 parrainages individuels que j’ai reçus. Je me sens mandaté par les 7 millions de personnes qui ont déjà choisi une fois ce programme en 2017. Tous, vous ferez votre devoir, je le souhaite, en allant voter. L’abstention serait un renoncement. Car cette élection présidentielle de 2022 sera un moment décisif pour le peuple français. Ce programme peut réunir une union populaire large et puissante sur des solutions plutôt que sur des détestations et des exclusions. Nous voulons réussir une mobilisation positive, une adhésion à des projets clairs et audacieux. Une enquête d’opinion a montré que les principales idées de ce programme sont très largement majoritaires dans le pays et recueillent entre 60 et 90 % d’opinions positives.

Nous avons besoin de cette large adhésion. C’est une leçon de l’histoire profonde : les sociétés solidaires sont les plus capables de faire face aux grands bouleversements et aux tourmentes. À l’inverse, la restriction des libertés, par des méthodes archaïques et brutales, divise nos sociétés. Tout le monde en a assez des décisions incongrues prises par un homme seul, mises en œuvre par la contrainte au milieu de caricatures de débats absurdes. En donnant à chaque personne le droit de participer aux décisions, on facilite leur mise en application. C’est pourquoi il nous faut réorganiser en profondeur la vie démocratique de notre pays.

Notre peuple doit vivre libre et pleinement citoyen. Le droit de décider ne doit pas être réservé à une caste de privilégiés. Le peuple, et lui seul, doit être souverain. Abolir la monarchie présidentielle, donner au peuple d’amples pouvoirs d’initiative des lois et de révocation des élus est une urgence pour cela. C’est pourquoi, si l’on veut refonder la démocratie française, il faudra convoquer une Assemblée constituante. À cette occasion, les citoyens écriront eux-mêmes la Constitution de la 6e République. À eux de tenir la plume pour définir les règles de notre vie commune. La dérive autoritaire et brutale mise en place par Emmanuel Macron doit être effacée. Disons-le sans détour : le retour à la raison, à la paix civile et à la dignité dans une société vraiment républicaine passe aussi par une refonte de fond en comble de la police. Et également, bien sûr, par une sérieuse révision générale des conditions dans lesquelles s’exerce la justice. Ces ruptures sont essentielles. Encore une fois : les peuples les plus libres de leurs décisions seront les plus unis. Il le faut pour faire face au plus important des défis jamais vécus : la menace d’effondrement de l’écosystème compatible avec la vie humaine. Et c’est bien ce que propose notre programme.

C’est la leçon de notre temps : nous devons nous adapter au système de la nature. Nous croire capables de nous en séparer est absurde. L’avenir de l’espèce humaine est radicalement inclus dans celui de la nature. Viser l’harmonie des êtres humains avec elle est un plan d’action urgent. Il est temps d’organiser un monde où coïncident les cycles de la vie individuelle et collective et ceux de la régénération de la nature. Telle est la « règle verte » que nous voulons appliquer. Avec le changement climatique s’ouvre une ère de très grandes incertitudes. Par exemple, le cycle vital de l’eau est entièrement perturbé. Déjà nous faisons face à davantage d’événements extrêmes, à la modification du régime des pluies et à l’élévation du niveau des océans. Ces changements vont bouleverser tout ce que nous avons connu pendant des générations. Ils sont quasi imprévisibles. Nous devons donc choisir notre façon de réagir : « tous ensemble » ou « chacun pour soi » ? Pour nous, il est vain de vouloir régler quoi que ce soit dans un illusoire « chacun pour soi », ni en comptant sur le marché et sa sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » chère aux traités européens. Car c’est déjà cela qui a conduit l’humanité au précipice.

Pour renverser cette tendance, il nous faut un État stratège, organisateur de la mobilisation écologique et sociale dans tous les secteurs de la société. Il peut donner les grands objectifs, anticiper les filières et les métiers dont nous avons besoin, coordonner les producteurs entre eux. En un mot, il doit planifier. La planification est désormais une idée qui a fait son chemin. Vous verrez, en nous lisant, que nous avons bien avancé sur la façon d’agir en nous appuyant essentiellement sur les communes, avec le concours des branches professionnelles et de leurs représentants.

Car oui, il faut tout changer : nos modes de production, de consommation et d’échange sous l’égide de la « règle verte ». C’est-à-dire ne plus prélever à la nature davantage qu’elle peut reconstituer dans un délai supportable. La façon dont nous regardons notre environnement doit changer. L’eau, l’air, la biodiversité, les forêts sont des biens communs. Sans eux, la vie des personnes et des sociétés n’est pas possible. Cessons de n’y voir que des matières premières inertes. Décrétons leur propriété collective !

Alors bien sûr, il faut transformer beaucoup d’activités ! Par exemple l’agriculture. Nous lui donnerons un objectif : d’abord la production alimentaire pour notre population par un approvisionnement bio local. Et en finir avec la malbouffe et les maladies qu’elle déclenche. Dans le même temps, notre industrie aussi est à reconstruire. Mais que ce soit d’abord pour nous approvisionner ! Et bien sûr en changeant ses méthodes, ses matières premières et la durée de vie de ses productions. Voilà pourquoi l’enseignement professionnel doit être réorganisé entièrement dans ses programmes comme dans son maillage, ses recrutements et son financement. Au total, on voit ici que des chantiers globaux doivent être lancés dans de nombreux domaines : transports, énergie, logement, déchets. Tout le monde sera appelé à la rescousse.

Mais la difficulté d’agir est accrue par l’état social du pays. Comment travailler au futur quand vous êtes cloué au présent pour survivre ? C’est le lot quotidien de tant de monde. Dix millions de pauvres en attestent. Nous sommes donc en état d’urgence sociale. Détresse alimentaire, logements insalubres ou surpeuplés, pauvreté galopante : tous les indicateurs sont au rouge, attestant d’un délabrement général de la société française. C’est devenu un rêve pour beaucoup de monde de pouvoir bénéficier d’une situation stable, sans peur permanente du lendemain. Il faut en faire une réalité. Cela passe avant tout par l’emploi pour tous. D’ailleurs, c’est ce dont le pays a besoin pour réussir la bifurcation écologique. Car le règne de la finance a créé une situation aberrante. Que voyons-nous ? Les besoins en travail humain n’ont jamais été aussi importants et simultanément le chômage de masse s’étend. Pourtant, il y a tant à faire. On ne manque pas de travail mais d’emplois. Le secteur privé ne sait pas en créer en tant que de besoin. « L’Avenir en commun » propose d’inverser cette situation absurde. Plutôt que d’accuser les pauvres d’être coupables de leur misère, mieux vaudra garantir à chacun un emploi.

Nous ne pouvons être un peuple pleinement uni tant que dure la société des privilèges. Car elle divise la population et la fragmente devant les dangers. C’est un poison mortel. Réduire les inégalités des revenus et des conditions de vie, comme entre femmes et hommes, est devenu un objectif de salubrité publique. L’heure de l’entraide et du partage est arrivée. C’est concret. Les services publics doivent vraiment garantir à chaque personne l’égalité d’accès aux droits et aux réseaux essentiels à la vie actuelle. Et cela, quels que soient son statut personnel, ses revenus, son patrimoine, son lieu d’habitation. Il s’agit de l’école, de la santé, des transports, des moyens de communication, du logement, de la culture. Là encore, il faudra réparer le maillage fin détruit par plusieurs quinquennats de gestion néolibérale. Et pour cela, il faut en répartir le coût avec justice. Alors l’impôt sera rebâti avec un principe simple : ceux qui ont le plus cotisent plus et ceux qui ont le moins cotisent moins. En dessous de 4 000 euros de revenus mensuels, tout le monde paie moins ! Et la dernière tranche du revenu des super-riches doit revenir au niveau d’après-guerre.

Le libéralisme autoritaire déploie dans toute la société sa culture de la violence, de la médiocrité et de la soumission. Mais la liberté de choisir sa vie est une aspiration ancrée dans chaque être humain. Elle doit être respectée et encouragée. Dans notre projet d’égalité pour tous, le premier moyen est la liberté pour chacun d’être maître de soi et de sa vie, libéré des discriminations sociales et culturelles qui emprisonnent les personnes. Aujourd’hui se répandent partout des méthodes autoritaires pour tenir en laisse les peuples. Ainsi s’impose progressivement une société de contrôle généralisé. Et ce n’est pas tout ! Le contrôle des esprits est aussi à l’ordre du jour. Ce système déclenche partout des disputes mortelles qui déchirent en profondeur les peuples ! Ainsi, sous prétexte de « choc des civilisations », il entretient des guerres religieuses, des angoisses identitaires obsessionnelles et souvent même un racisme de plus en plus dégradant. Dès lors, pour nous, c’est un même combat, celui pour la maîtrise souveraine de sa propre personne jusque dans le droit à mourir dans la dignité, l’égalité en droits, le libre choix sur les engagements fondamentaux de son existence et la lutte implacable contre toutes les discriminations racistes, sexistes ou homophobes ! Notre programme ne l’oublie ni ne le cache jamais. Dans le monde actuel, pour s’émanciper de toute mainmise sur notre vie personnelle, il faut être unique maître de soi. Pour cela, il est nécessaire de dominer les innombrables liens qui nous connectent à la société. Et pas seulement en limitant et contrôlant les fichages numériques. Il s’agit du développement de l’émancipation personnelle par l’éducation, la connaissance, la diffusion du savoir scientifique et de l’impérieuse nécessité de la pratique des arts et du sport. C’est cela “humaniser la société” en rendant meilleurs les membres qui la composent.

Je ne peux finir ces lignes sans vous dire combien je crois que la France est une Nation importante pour le monde. Qui passe le nez à la fenêtre sait combien nous sommes attendus et entendus. C’est notre responsabilité d’être à la hauteur de cela. C’est pourquoi notre pays mérite mieux que d’être ainsi rabaissé quand nous humilient nos soi-disant alliés des États-Unis, de la Turquie ou d’Australie. Avant tout, l’indépendance de la France est d’abord une garantie de notre propre liberté en tant que peuple. L’indépendance n’est pas le repli sur soi. C’est la maîtrise de nos interdépendances dans le monde. Aucune ne doit aliéner notre liberté en nous obligeant à des engagements désastreux comme ceux auxquels nous contraint l’OTAN par exemple. Prenons de la distance pour pouvoir nous occuper de l’essentiel : construire un monde ordonné tout autrement. Partout nous devons mettre la logique de l’intérêt général à la place de la loi du plus fort. Libre, la France peut consacrer toute sa puissance au service des biens communs mondiaux. Aujourd’hui, aucune loi commune ne les régit. Les biens vitaux sont concernés : l’eau, le climat, les océans, l’espace et la Toile numérique. Dans chacun de ces domaines, nous avons un savoir-faire et des moyens techniques de premier plan. Nous pouvons donc animer une diplomatie altermondialiste entendue et respectée. Ce sera la meilleure contribution de la France à la paix et au codéveloppement. Elle ne sera pas isolée, au contraire. Et elle ne sera plus embarquée dans des conflits menés au profit des seuls États-Unis en déclin.

Quand ils sont interrogés sur chacune de nos propositions, les Français expriment un très large soutien. Un tel programme peut donc rassembler une majorité du peuple français. J’ai confiance. Ma candidature est celle de l’expérience acquise et de la détermination à agir. J’ai la force d’un programme et d’une équipe « prête à gouverner ». Le bulletin de vote à mon nom est le moyen concret pour entrer dans la société de l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Il annonce à la fois le chemin et l’objectif : l’union populaire pour l’Avenir en commun. La nouvelle France issue des bouleversements de son histoire depuis le milieu du siècle précédent a besoin de cette ample refondation commune de son destin. Je crois qu’elle parlera au monde.

Jean-Luc Mélenchon