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“Nous sommes toutes Gisèle” : en finir avec la culture du viol

« Nous sommes toutes Gisèle » : en finir avec la culture du viol

« Nous sommes toutes Gisèle » : en finir avec la culture du viol

Ce 2 septembre, le procès des viols dits « de Mazan » s’est ouvert, générant une vague de colère, d’indignation et de soutien. Bousculant de nouveau la société sept ans après #MeToo, cette affaire interroge notre loi, notre justice, et avec elles toute la société, sur ses biais patriarcaux.

En refusant le huis clos, Gisèle Pelicot souhaite que l’on sache ce qu’elle a vécu, pour que cela ne se reproduise plus. Mais pour que la honte change véritablement de camp et pour mettre fin aux violences, c’est toute la société qui doit s’en saisir, loin des discours médiatiques dépolitisants. Comme l’explique La Fondation des Femmes : « à l’instar de Gisèle Pelicot, qui a choisi un procès public, nous avons besoin de cette grande confrontation sociétale. Malgré les retours de bâtons, les manipulations médiatiques et juridiques pour faire taire les victimes et les mensonges systématiques des mis en cause, le mouvement #MeToo continue et fait désormais le procès d’une justice engluée dans une culture du viol profondément enracinée dans notre société. #MeToo nous permet d’avancer. »

Car ce procès n’est pas celui « de Mazan », mais de Dominique Pelicot, et de 51 violeurs identifiés. Tous des hommes ordinaires, parfaitement intégrés socialement, de 26 à 71 ans. Pompier, militaire, gardien de prison, infirmier, journaliste, chauffeur routier, conseiller municipal… Les accusés sont représentatifs de la société. Ces « messieurs tout le monde » nous rappellent que les monstres n’existent pas, que les violences sexistes et sexuelles sont bien systémiques et banalisées, et n’épargnent aucune catégorie de la société. Ce n’est pas un fait divers exceptionnel, mais bien un fait de société qui nous confronte à une réalité bien documentée, et depuis longtemps dénoncée : en France, selon le gouvernement, 217 000 femmes sont victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles par an. Selon Nous Toutes, 1 femme sur 6 fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti et désiré. C’est bien de la banalité des violences faites aux femmes dont il est question.

Ce procès, c’est donc celui de la culture du viol, utilisée comme argument de défense, et selon laquelle le violeur, c’est l’autre, l’inconnu armé dans une rue ou un parking sombre. Cette culture du viol permet à l’un des accusés d’affirmer : « je n’ai pas le cœur d’un violeur, je n’ai pas l’âme de ça. Pour moi, un viol, c’est attraper quelqu’un dans la rue. » Alors même que 9 victimes sur 10 de viols ou tentatives de viols connaissaient leur agresseur, et que dans près de la moitié des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. Et pas très loin, c’est aussi la culture de l’inceste, omniprésente dans cette affaire, où Caroline Darian, fille de Dominique Pelicot, a également été prise en photo dans son sommeil dénudée et ignore encore si elle a été victime de soumission chimique.

Ce procès, c’est celui du patriarcat qui permet aux hommes de continuer à violer en toute impunité, avec la complicité de leurs pairs. Selon Dominique Pelicot, 7 hommes sur 10 ont accepté, les 3 autres n’ont rien dit, n’ont pas dénoncé, se rendant ainsi complices. Certes pas tous les hommes, mais tous des hommes. Derrière les « Not All Men » niant le rôle structurant de la misogynie et du patriarcat, 98 % des auteurs présumés de violences sexuelles sont des hommes, socialisés à réifier et violenter les femmes. 

Ce procès, c’est celui d’une institution judiciaire à libérer des biais patriarcaux. Rappelons que 80 % des plaintes sont classées sans suite et que seuls 0,6% des viols aboutissent à une condamnation. Lorsqu’il y a procès, c’est au prix de violences redoublées pour les victimes, dont les besoins et psychotraumatismes sont ignorés. Tous les jours, ce procès nous le montre. De nombreux propos visent à inverser la culpabilité en la rejetant sur les victimes. Selon Dominique Pelicot, sa fille Caroline Darian « aurait sali la famille » en publiant un livre dévoilant cette affaire, alors que c’est lui qui a soumis chimiquement sa femme pendant 10 ans pour organiser ces 92 faits de viol. Les réactions du corps de la victime sont suranalysées, des questions lui sont posées sur son passé sexuel, ses supposées pratiques libertines ou « penchants pour l’exhibitionnisme », etc. Des soupçons de complicité à son encontre que Gisèle Pelicot qualifie elle-même à juste titre d’humiliants et dégradants. 35 des accusés continuent à nier, déshumaniser et culpabiliser la victime dans la défense qu’ils se sont choisie.

Selon certains accusés, « à partir du moment où le mari était présent, il n’y avait pas viol », dépossédant ainsi la victime de ses droits et de son corps. Alors même que les accusés étaient inscrits sur un salon intitulé « à son insu », qu’il y a des vidéos montrant un corps inerte sous l’effet de la soumission chimique, et des messages montrant des consignes claires pour ne pas réveiller la victime et ne pas laisser de traces, certains font le choix de plaider qu’ils ignoraient qu’elle n’était pas consentante. Ce choix est révélateur de la culture du viol dans la société, mais aussi peut-être des lacunes de la loi, sur lesquelles ils tentent de s’appuyer. Comme si, aux yeux de la société et de la justice, le consentement d’une femme pouvait être présumé. Or l’absence de ce terme dans la définition actuelle du viol (qui repose uniquement sur les critères de violence, contrainte, menace et surprise) contribue à cette perception. Pour qu’on ne puisse plus plaider qu’on ignorait que le consentement se vérifie, qu’il n’appartient pas au mari, pour que s’ouvre un nécessaire débat sur le sujet, Sarah Legrain a redéposé sa proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol, tombée suite à la dissolution de l’Assemblée nationale.

La violence de ce procès nous rappelle tous les jours pourquoi moins de 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte. Parce que les femmes ont toujours parlé, mais qu’on ne les a jamais écoutées. Parce qu’elles sont sommées d’être « parfaites », « fortes » et « héroïques » pour être crédibles. Qu’il faut être filmée, plongée dans un sommeil artificiel, et dévoiler publiquement chaque détail le plus intime des violences infligées et de sa vie pour que le slogan « la honte doit changer de camp » résonne au-delà des luttes féministes. Et que même avec ça, ça ne suffit pas.

Et enfin, c’est le procès de toute la société. D’une société du spectacle et du déni, qui se repaît de détails sordides et sensationnalise les violences, pour tenter d’en faire une situation « hors norme ». Une société confrontée à sa propre responsabilité et son propre aveuglement. Du corps médical, qui n’a pas su repérer et alerter, malgré les nombreux examens médicaux suite aux souffrances gynécologiques et troubles de la mémoire de la victime. Des médias, qui en plein procès, invitent Caroline Fourest sur leurs plateaux pour nous expliquer que « #MeToo va trop trop loin » et appeler à la nuance pour mieux nier le continuum des violences et leur caractère systémique. Des politiques d’austérité d’Emmanuel Macron, élu en plein #MeToo, qui ont fait baisser le budget moyen par femme victime de violences conjugales de 26 % selon la Fondation des Femmes. 

Des rassemblements dans toute la France ont eu lieu samedi 14 septembre, en solidarité avec Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viols et pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. La justice doit faire son travail, et ce bien sûr en toute indépendance. Notre responsabilité en tant que mouvement politique est de tirer les leçons de ce moment de prise de conscience et de porter des mesures, à la hauteur de #MeToo, de Gisèle Pelicot, de toutes les victimes, et des luttes féministes. Pour en finir avec la culture du viol et protéger les victimes, nous continuerons à soutenir la mobilisation populaire et à lutter pour :

  • Mettre en œuvre effectivement la loi de 2001 sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ;
  • Allouer les 2,6 milliards d’euros de budget demandés par les associations féministes ;
  • Renforcer la politique d’hébergement d’urgence, de logement pérenne, et garantir des mesures d’urgence telles que la mise à l’écart du domicile du conjoint violent.
  • Assurer une formation spécifique et obligatoire en matière de violences sexistes et sexuelles pour tou·tes les professionnel·les concerné·es (santé, police, justice, éducation nationale, services sociaux…) ;
  • En finir avec la correctionnalisation des viols, notamment par la formation et l’augmentation des moyens du personnel judiciaire et de police ;
  • Inscrire le consentement dans la définition pénale du viol ;
  • Garantir une justice respectueuse des droits des victimes (respect de la dignité, prise en compte des psychotraumatismes)

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